Quand vient l’automne, je commence à frémir
Non parce que les arbres viennent à se décharner
Non parce que la lumière vient à décliner
Mais parce que c’est la saison de la taxe d’habitation
infortuné je ne pourrai m’en acquitter
tel est le lot de l’homme endetté
Septembre arrive et avec lui la mauvaise nouvelle : dans la boite aux lettres un courrier des impôts, c’est la taxe d’habitation. Ils nous réclament un montant fou ! Parfois ça peut correspondre à un mois de loyer ou plus ! Et puis d’abord comment ça a été calculé ? On croyait en être exonéré ! Et pourquoi ils nous demandent de payer la redevance audiovisuelle si on n’a pas de télé ? On n’y comprend rien et en plus on n’a pas les moyens.
Nous sommes nombreux à Montreuil comme ailleurs à ne pouvoir nous acquitter du montant de la taxe d’habitation. Nous devons alors faire face aux impôts et comme dans beaucoup d’autres institutions (CAF, Pôle emploi, sécurité sociale…) nous sommes confrontés à une logique d’opacité, d’individualisation et d’arbitraire.
La taxe d’habitation est particulièrement opaque parce très difficile voire impossible à calculer par soi-même. Pour résumer, la base de la taxe est déterminée par la valeur locative de l’immeuble et la surface de l’habitation puis il y a des abattements (des réductions) qui lui sont appliqués selon de multiples critères (le nombre d’enfants à charge, les revenus – à condition de ne pas dépasser un certain plafond-…).
Comment savoir si on a droit ou pas à un abattement ? Car il s’agit bien de droits et la règle, complexe, des abattements se trouve dans le code général des impôts. Certes il y a la notice explicative jointe avec l’avis de paiement qui est censée « aider à comprendre comment votre taxe d’habitation est établie » qu’il faut tout d’abord… comprendre mais qui en aucun cas ne nous permet de faire le calcul nous-même. Alors on doit « faire confiance » au bon travail de l’institution. Mais depuis notre expérience et après avoir enquêté à Montreuil et ailleurs, nous voyons que les impôts (comme la CAF, Pôle Emploi…) marchent par erreurs. Par exemple la plupart du temps pour les colocations la taxe est calculée de façon fantaisiste alors que la situation est claire ou alors des abattements ne sont pas appliqués parce que les éléments qui pourraient donner lieu à une réduction ne sont pas connus au moment du calcul de la taxe par les impôts (lorsqu’il s’agit de nous contrôler les administrations savent très bien recouper leurs fichiers pour nous mettre à nu mais lorsqu’il s’agit d’un droit en notre faveur comme par hasard ce n’est pas le cas). Les cas d’aller-retour des dossiers entre les impôts et les habitants pour le re-calcul de la taxe sont la règle et non pas l’exception.
La taxe d’habitation, calculée au « cas par cas », nous individualise, même quand sur le fond les situations sont les mêmes. Autrefois par exemple les RMIstes étaient exonérés d’office de cette taxe même s’ils avaient perçu des salaires. À l’occasion du passage du RMI au RSA ils ne le sont plus et c’est donc à chacun, chaque fois qu’il reçoit l’avis de paiement, de faire la démarche pour demander une remise gracieuse. Or pour avoir droit au RSA il faut gagner moins de 1200 euros par mois (pour une personne seule). L’Etat considère donc qu’en tant que travailleurs pauvres, nous avons droit à un complément de salaire parce que nos revenus ne nous permettent pas de vivre et en même temps considère que nous sommes assez riches pour payer la taxe d’habitation ! Pourquoi ne pas exonérer en amont et d’office tous ceux qui rentrent dans les critères de ces minima sociaux ?
Très concrètement, tous ceux qui (après avoir fait ou pas les démarches) n’ont pas les moyens de payer la taxe, ne la paient pas et se retrouvent endettés auprès du trésor : une dette de plus sur le dos. Une dette qui s’additionne aux autres dettes contractées pour survivre d’autant plus importantes quand les difficultés s’enchaînent et qu’une dette en amenant une autre, ça fait boule-de-neige.
On pourrait bien n’avoir que faire d’être endettés auprès de l’Etat, mais bientôt le « tiers détenteur » nous rattrape. « Tiers détenteur » signifie qu’une action de récupération de la somme due est engagée, par exemple auprès de la banque. Une sorte d’alliance dans la production-reproduction de la dette, s’articule entre banques et Etat. Il arrive que la banque bloque la procédure et refuse de payer (par exemple quand on n’a pas assez d’argent sur notre compte), mais pour cela elle peut prendre des frais de procédure considérables qui augmentent d’autant la dette. Une fois la procédure du Tiers détenteur engagée, même en cas de remise gracieuse ou de mauvais calcul des impôts suite à des papiers manquants, on peut se retrouver endetté auprès de la banque.
Enfin, toute procédure pour obtenir une exonération ou un abattement ultérieur de la taxe est arbitraire. Quand on se présente aux impôts soit ils nous proposent de faire une demande d’échelonnement, soit de faire une demande de «remise gracieuse» (non suspensive). Et pour cela il faut fournir des tonnes de preuves, des tonnes de justifications. Au marché de Montreuil, quelqu’un nous disait que pour avoir l’échelonnement il fallait remplir tout un tas de papiers et que c’était trop compliqué pour lui. Il a donc payé tout en une fois. Il a maintenant un découvert permanent de 400 euros sur son compte. Ce n’est pas parce qu’on paye, qu’on a véritablement les moyens de le faire !
Une demande gracieuse, selon le jargon des impôts, est « une demande présentée par un contribuable en vue d’obtenir de l’administration fiscale une mesure de bienveillance portant abandon ou atténuation des impositions ou des pénalités mises à sa charge ». Et selon le dictionnaire la grâce c’est :
une faveur accordée à une personne
une remise de peine, pardon
charme, élégance de quelqu’un
aide divine pouvant mener une personne à son salut
Alors on demande clémence, pardon d’être ce qu’on est. Comme si la pauvreté dans cette société était une faute, une responsabilité personnelle, individuelle, et non pas la conséquence d’un système organisé comme tel. Et ça nous débecte. Parce qu’on sait que ce qu’ils appellent « remise gracieuse » c’est la réponse à une condition matérielle objective et ils appellent ça : faveur, magnanimité. Ça nous dégoûte, parce que tout cela augmente la superpuissance de l’institution sur nos vies, un « pouvoir divin », qu’on aurait aucun moyen de contrer.
Et alors nous avons décidé collectivement de sortir des cases dans lesquelles ils voudraient nous enfermer. Face à la subjectivité de leur « remise gracieuse » nous voulons opposer notre subjectivité collective et nos conditions matérielles objectives et partagées. Nous sommes des milliers à ne pouvoir payer. C’est tout.
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Si les revenus qui ne dépassent pas certains plafonds sont pris en compte pour déterminer le montant de la taxe d’habitation, ce n’est qu’à la marge. Les modalités de calcul font que le montant de la taxe d’habitation n’est absolument pas proportionnel aux revenus. Pour deux foyers occupant un logement similaire mais aux revenus très différents le montant de la taxe peut certes varier de quelques centaines d’euros mais on le sait bien, les euros n’ont pas la même valeur pour un smicard que pour un richard.
D’ailleurs des projets de réforme « plus juste » de cette taxe sont régulièrement brandis par les différents gouvernements : L’ EXONÉRATION DES REVENUS MODESTES JUSQU’À FERMETURE DÉFINITIVE DU CAPITALISME nous semblerait une bonne base de travail.
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Ce système d’opacité et d’arbitraire concerne aussi les autres acteurs impliqués dans la taxe d’habitation comme les communautés territoriales. Chaque commune et intercommunalité (par exemple pour Montreuil il y a Est Ensemble d’un côté et la mairie de Montreuil de l’autre) peuvent décider des abattements à la base de la taxe. Ces abattements peuvent être généraux (pour tous) ou spécifiques à des situations concrètes. Or à Montreuil les taux d’abattement ne sont pas du tout accessibles ou rendu publiques. Dans une ville qui voit les loyers flamber, la taxe d’habitation a eu le même destin (une augmentation de 8% a été voté par le conseil municipal en 2010). Le résultat c’est une évidente difficulté à se loger quand on a des revenus faibles. Dans une ville où les choix vont vers des centres commerciaux plutôt que des centres sociaux, des lieux de commerce plutôt que des espaces de rencontre non marchands, où les activités sociales veulent être transformées en activité rentables, dans une ville où plus d’attention est donnée à une image propre et attirante pour une population toujours plus friquée, on voit bien que la taxe d’habitation participe à ce re-looking postmoderne de la ville.
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Une visite collective au centre des impôts de Montreuil
Fin janvier 2013 plusieurs collectifs de chômeurs et précaires (Ariège, Montpelier, Rennes, Cévennes…) ont mené des actions concernant la taxe d’habitation. À Montreuil nous nous sommes rendus à une vingtaine au centre des impôts pour débloquer deux dossiers. Nous n’avons pas obtenu grand chose (possibilité d’échelonnement, remise de la majoration pour retard, annulation de la redevance audiovisuelle pour absence de téléviseur, aucune remise totale ou partielle) mais nous partageons ici ce que nous avons appris à cette occasion, des bribes de discussions qui donnent à voir comment fonctionne cette institution.
C’est un jour d’hiver pluvieux et très peu de temps après notre arrivée dans les lieux, une sorte d’inspecteur des impôts vient à notre rencontre et n’aura de cesse de nous expliquer que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, qu’il ne peut y avoir aucun problème, qu’il faut seulement qu’il nous explique et qu’après nous partions bien sûr. Cet inspecteur est en train de nous expliquer que les impôts ne commettent JAMAIS d’erreur et que ce que nous prenons pour des erreurs est en fait dû au contribuable, quand deux policiers arrivent sur les lieux. L’un d’eux lit notre tract et s’exclame « mais oui c’est bizarre, j’ai reçu deux taxes d’habitation cette année, c’est pas normal non, il doit y avoir une erreur ? ».
Malgré leurs problèmes avec les impôts les flics commencent à nous menacer d’expulsion. C’est là que le chef de monsieur l’inspecteur (des impôts) arrive et nous donne un rendez-vous pour le lendemain. Ce que nous acceptons.
Le lendemain nous apprendrons que :
→ Ce n’est pas le centre des impôts qui calcule la taxe d’habitation, tout est imprimé au ministère des finances, ici ils ne font qu’envoyer les avis et se chargent de récupérer l’impôt.
→ Plusieurs catégories d’agents sont habilitées à accorder des remises gracieuses, à chaque catégorie son montant maximum de remise, les contrôleur peuvent accorder jusqu’à 5 000 euros de remise, les inspecteurs 7 500 euros et les inspecteurs ++ 10 000 euros.
→ En cas de litige avec les impôts sur un recours ou autre, seul le conciliateur a le pouvoir de déjuger la décision du centre des impôts mais la plupart du temps il suit la décision du centre.
→ À Montreuil, un mois après la date limite de paiement ils envoient une lettre de relance, puis un mois après ils lancent la procédure à tiers détenteur.
→ Lorsqu’il manque une information pour calculer le montant de la taxe, celle-ci est calculée à son maximum « Ici les papiers s’empilent et quand le dossier n’est pas complet, par défaut, on met le taux plein ».
→ Les inspecteurs et les contrôleurs se laissent des notes internes sur chaque dossier pour s’expliquer entre eux les raisons d’un éventuel refus de recours ou de remise. Mais les raisons du refus ne sont jamais adressées à la personne. Un des copains que nous accompagnions s’était vu refuser sa demande de remise et nous avons donc appris à cette occasion que la note interne concernant ce refus disait qu’il gagnait trop peu pour payer son loyer et qu’il y avait donc soupçon de travail dissimulé. Les impôts ne s’étaient jamais soucié de savoir s’il habitait seul ou pas et de fait il s’agissait d’une situation de colocation officielle.
→ Quelle que soit la situation, si on n’a pas d’enfants à charge, il est presque impossible d’avoir grâce aux yeux des impôts (en tout cas à Montreuil). L’autre personne que nous accompagnions a été victime d’un accident qui a engendré plusieurs opérations, hospitalisation, perte du boulot et de l’appart. Cet accident grave n’a pas été suffisant pour obtenir une remise. La personne doit aujourd’hui payer une dette chaque mois aux impôts et elle se retrouve dans l’impossibilité d’accéder à un nouveau logement faute de moyens.
→ Ces dernières années les demandes de remises ont explosé. Quand vient l’époque du paiement de la taxe, le hall du centre des impôts se rempli de centaines de personnes tous les jours. Mais bien sur le nombre de remises lui n’a pas augmenté « on ne peut pas accorder la grâce à tout le monde ».
Plus nombreux, plus déterminés, mieux coordonnés avec les autres collectifs on peut penser qu’il aurait été possible d’envisager d’obtenir plus. De bouger un peu les lignes. Ce n’est peut-être que partie remise…
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Attention !
♦♦ En cas d’erreur manifeste des impôts, on a droit à un remboursement des frais de banque suite à une procédure de Tiers détenteur. Il faut faire une demande de remboursement à la direction départementale des Impôts (qui rembourse la Banque !).
♦♦ En cas de collocation : il ne peut y avoir qu’une seule taxe par habitation. Pour une taxe d’habitation il ne peut y avoir que deux occupants principaux au maximum (les occupants principaux sont ceux contre qui les impôts peuvent lancer une procédure de récupération), les autres sont des occupants rattachés. La détermination des noms des occupants principaux se fait de façon aléatoire, ça peut être la première personne qui a fait ses déclarations d’impôts par exemple. Mais la taxe et les éventuels abattements sont déterminés à partir de l’ensemble des revenus de tous les habitants.
♦♦ Même si on héberge quelqu’un à titre gratuit et que notre appart lui sert juste de boite à lettre, si la personne déclare ses revenus aux impôts et que l’adresse de référence est la nôtre, ses revenus rentreront en compte dans le calcul de la taxe d’habitation. Puisque le calcul de la taxe prend en compte seulement les habitants présents au 1er janvier de chaque année il faut éviter que la personne en question soit déclarée domicilié chez nous à cette date !
♦♦ Si on a un revenu fiscal de référence (RFR) égal à zéro, on est exonéré de la taxe audiovisuelle (si les conditions de cohabitation sont respectées, c’est-à-dire s’il n’y a pas des colocataires dont le revenu fiscal de référence est supérieur à zéro).
Si on a oublié de déclarer qu’on ne possède pas de téléviseur on peut le rectifier auprès des impôt ce qui doit suffire pour ne pas être soumis à la redevance audiovisuelle (129 euros en 2012). Par ailleurs en cas de contrôle à notre domicile n’oublions pas que les inspecteurs n’ont pas un super pouvoir et qu’ils doivent respecter le domicile privé. Ils ne peuvent pas s’introduire chez nous sans notre consentement. Et, en cas de visite on peut dire que ce n’est pas possible dans l’instant et renvoyer l’inspection à plus tard.
Une version PDF de ce texte est disponible ici: Ni dette, ni grâce
Source : Les Cafards de Montreuil