Bribes d’analyse d’un collectif de travailleurs, chômeurs et précaires
Ce texte essaye de revenir sur la grève et la lutte lors du festival Cratère surface à Alès du 30 juin au 5 juillet. Ce fut l’un des épisodes du mouvement contre l’accord UNEDIC. Ce festival se tenait entre celui du Printemps des comédiens à Montpellier, qui fut le premier où les travailleurs se mirent massivement en grève, et celui d’Avignon.
Nous sommes quelques-uns du collectif Exploités Énervés (composé de travailleurs, de précaires, de chômeurs, de RSAstes…) à nous être investi dans ce combat. Cette tentative d’analyse part de nos points de vue.
En préambule, le texte qui suit n’est qu’une tentative d’analyse de la lutte à laquelle nous avons participé autour de la grève à Cratère Surface. Nous avons été invités dès le début de la grève (et même avant, à la présentation de la saison du théâtre le Cratère – scène nationale d’Alès –, par des grévistes du Printemps des Comédiens) et avons pris pleinement part à la lutte. Celle-ci, comme toute lutte (un rapport de force sur le dossier d’un chômeur, le fait d’empêcher des huissiers d’expulser des locataires, une grève, un mouvement plus global type mouvement des retraites…), a été traversée de contradictions. Il y a toujours des bagarres à mener au sein d’un mouvement pour que les participants gardent le contrôle de leur lutte, pour l’élargir, pour construire un réel rapport de force. Ainsi différentes réflexions sont posées ici afin de servir lors de la lutte qui se poursuit et de celles qui viennent. Ces réflexions, si elles sont critiques parfois, s’adressent à l’ensemble des participants, chômeurs, précaires, intermittents…
Problèmes des AG, de la légitimité et de l’unité du mouvement
La première chose qui nous a fort étonnés, c’est la présence du directeur et des ses bras droits aux AG des grévistes. La direction avait organisé le vote à bulletin secret pour la grève avant le début du festival. C’est une technique souvent utilisée pour reprendre en main un mouvement ou l’empêcher de démarrer (les syndicats sont coutumiers du fait quand ils veulent arrêter une grève). En effet, la pression de l’encadrement sur chaque individu est plus forte et n’est pas contrebalancée par l’enthousiasme collectif. Les non-grévistes sont plus à l’aise pour exprimer un point de vue contre le mouvement… En organisant ce vote, la direction souhaitait garder le contrôle de la situation. Si le directeur affirmait depuis le début qu’il soutenait le mouvement, sa position, sa fonction faisaient qu’il ne pouvait laisser la grève se durcir. L’ objectif d’un directeur de théâtre est de faire jouer coûte que coûte et de sauver ainsi, un peu, son festival. Son intérêt est alors opposé à celui des grévistes, quelle que soit sa sincérité quant aux revendications. Sa présence en AG pose un problème : il est difficile pour des salariés en grève de s’exprimer devant la personne qui va les employer, ou non, le mois ou la saison suivante. Les risques de répression individuelle à la suite du mouvement ne sont pas minces, d’autant plus dans un secteur (le spectacle), où par définition l’emploi saisonnier dépend du bon vouloir de quelques directeurs de théâtre qui se connaissent tous.
Des ouvriers en grève ne peuvent agir quand leur hiérarchie est présente. Ce rapport de pouvoir, inhérent au fait que l’un a la capacité de garder l’autre au travail ou de l’en priver, créé un déséquilibre. De plus, par sa présence dans les AG, la direction peut être témoin des conflits entre les grévistes. Ces désaccords sont toujours présents et nécessitent des débats. Il est dangereux que la hiérarchie puisse y assister et s’en serve pour opposer les gens les uns aux autres. Le seul moyen de sortir de cette situation est de se réunir sans elle. Ainsi il est plus cohérent de montrer un front uni à la direction et de garder les polémiques entre salariés en grèves, entre individus en lutte. Le directeur, le responsable com’, l’administratrice ne s’y sont pas trompés et ont utilisé les conflits et les divisions entre artistes et techniciens, entre régisseurs, managers et grévistes… pour les exacerber et affaiblir le mouvement.
Des AG avaient lieu chaque matin, organisées de la manière suivante : dans un premier temps se réunissait le personnel du cratère dans son ensemble, grévistes, non-grévistes, personnel de direction, de communication…puis s’en suivait une AG ouverte à tous (chômeurs, précaires, individus ou collectifs…). L’organisation de plusieurs moments dans l’AG décisionnelle nous semblait naturelle. Il est logique que les salariés se retrouvent tout d’abord entre eux afin de décider de la grève. En effet, ce sont eux qui perdent leurs salaires et sont dans un rapport direct avec leur direction, pas forcément les autres gens en lutte. Mais encore une fois, il est un peu étrange d’attendre le directeur pour commencer cette première partie de l’AG quand les autres personnes qui participent à la lutte n’arrivent qu’après. Il faut noter que l »existence d’AG ouverte à tous est un point très positif. Cela pose dès le départ une possibilité d’élargissement de la lutte à tous les concernés. C’est un fait nouveau comparé au précédent mouvement des intermittents (2003) où le repli corporatiste était assez fort.
On l’a vu, durant les AG, les grévistes n’ont pas réussi à se retrouver entre personnes en lutte (c’est à dire sans la direction, sans les non-grévistes…) cela pose un réel problème dans une lutte. Ces AG étaient interminables, avec des débats récurrents tel celui sur la légitimité des 96 heures de grève votées au départ par les techniciens principalement.
Un moment de discussion entre personnes en lutte aurait permis d’organiser plus rapidement des actions vers l’extérieur et non de rester des heures cloîtrés à l’arrière du théâtre et ainsi s’isoler des chômeurs, des travailleurs auxquels on devait s’adresser. Cela aurait aussi permis de tirer les leçons de chaque action, d’en faire un bilan et d’envisager la suite. A ce moment là, les AG auraient constitué de véritables AG de lutte, d’autant que chaque jour voyait monter la pression et que, contrairement à ce que pouvait dire la direction, le public accueillait plutôt bien ces actions.
Le premier jour, la pluie a interrompu le spectacle mais des interventions ont pu être faites. Le deuxième jour, à Rochebelle, on a laissé jouer la première représentation avec une intervention et des échanges avec le public à la fin. La seconde représentation a été annulée avec l’accord de la troupe (hollandaise) malgré les manipulations de l’administratrice. Le troisième jour, il a été décidé de bloquer complètement les spectacles. En discutant directement avec les compagnies, il apparaît qu’elles finissaient majoritairement par comprendre la situation et refusaient de casser la grève. Pour les autres, il a fallu mettre un peu la pression. En discutant avec le public à la fin d’un spectacle, celui-ci se montrait réceptif aux questions du chômage et de la réforme de l’UNEDIC. Quand les spectacle ont été annulés, les gens étaient désappointés mais pas hostiles et la plupart comprenait très bien que lorsque l’on fait grève, le festival ne peut se tenir malgré tout. Tous les gréviste n’étaient pas présent à ces actions et dans ces moments et le fait de partager ses impressions ensemble aurait montré à chacun les aspects positifs de ces blocages et de ces avancées.
Alors que chaque action montrait que la lutte grandissait, ce que la direction et certains artistes faisaient passer dans les AG, c’est que la lutte était violente, que c’était contre-productif… Si les grévistes et les gens en lutte s’étaient retrouvés entre eux, ils auraient pu saisir les aspects positifs plutôt que discuter éternellement de ce que les troupes et le festival perdaient en ne jouant pas. Cela aurait permis d’être plus efficace tant dans les discussions que dans la mise en place d’actions. D’ailleurs l’action de Brouzet (annulation des spectacles de la soirée) n’a pas été décidée en AG mais lorsque les grévistes se sont retrouvés entre eux et en dehors de ce cadre.
Il y aurait donc pu y avoir 2 parties dans l’AG, une où les salariés décident de la grève et des modalités puis une autre où les personnes en lutte discutent et décident des actions (sans la direction, sans les non-grévistes!). Certaines personnes (intermittents et précaires) défendaient cela depuis le début.
Les questions de la légitimité de la lutte et de la démocratie sont revenues à plusieurs reprises dans les AG. La démocratie a pris la forme d’un vote à bulletin secret organisé par la direction, ce n’est pas anodin. C’est une façon de limiter le droit de grève. C’est la propagande sur les passagers de la SNCF pris en otage, c’est l’accueil des enfants dans les écoles en grève, c’est le service minimum, c’est le vote à la majorité et avec un taux de participation suffisant en Angleterre pour qu’une grève soit légale. Ces mesures visent à empêcher tout mouvement social. A travers une pseudo démocratie (où tous ne sont pas égaux puisque certains ont le pouvoir de donner un salaire ou de mettre au chômage), l’État et les directions d’entreprises cherchent à casser toutes possibilités d’agir.
La grève, c’est la force des travailleurs d’empêcher que des marchandises, c’est-à dire le profit des patrons, ne puissent sortir. C’est dans ce rapport de force que se pose la possibilité de la lutte. Qu’elle soit minoritaire ou non, une grève ou une lutte, répond à des conditions de vie insatisfaisantes ou menacées. Ici, l’accord de l’UNEDIC est clairement un recul pour les classes populaires (chômeurs, précaires, intérimaires ou intermittents). Cet accord fait partie d’une politique plus globale d’austérité. L’État prend sur le dos des plus pauvres, l’argent qu’il va donner aux patrons (50 milliards). Il est nécessaire que les personnes visées réagissent. La légitimité de tous mouvements part de l’inégalité intrinsèque à cette société, des rapports d’exploitation, de classes qui la régissent.
Les dominants cherchent à saper toute réaction par une démocratie qui ne peut exister dans cette société inégalitaire. Pour être plus concret, quand des salariés se mettent en grève pour 96 heures, ils mettent en jeu leurs vies, leurs salaires… C’est leur choix et personne ne peut leur reprocher. Les artistes qui sont arrivés plus tard n’avaient qu’à se déterminer eux-aussi, soit ils rentrent dans la grève soit ils la cassent ! Personne n’a choisi à leur place ! Il faut quand même rappeler que si il n’y avait pas eu de grève, personne ne se serait retrouvé pour en discuter et agir. Le discours de certains sur l’intérêt de faire des actions sous de nouvelles formes mais ne pas faire grève est naïf ou crapuleux. Il n’y aurait eu aucune action si il n’y avait pas eu au préalable de grève. C’est grâce à la grève qu’il y a eu des AG, que d’autres gens ont pu s’associer à la lutte, que nous avons pu discuter, que des actions ont pu être mises en place…
Cette question de la légitimité en amène une autre tout aussi récurrente, celle de l’unité du mouvement. Les artistes non-grévistes appelaient souvent à l’unité à tout prix. Cela n’a pas de sens, il y a des grévistes, des non-grévistes, des précaires en lutte… L’unité se fait sur certaines bases, en l’occurrence la lutte contre l’accord de l’UNEDIC. L’intérêt de l’unité était la jonction entre les chômeurs, les précaires, d’autres travailleurs en lutte et les intermittents et non des débats stériles entre grévistes et non-grévistes ! D’autant que ces appels à l’unité se faisaient au nom de la volonté de jouer de certaines troupes. Le blocage serait alors une action de division, mais le fait de jouer malgré la grève non ?! Une unité ne se fait pas en l’air, être unis, oui mais avec qui et pourquoi ? Certains pouvaient être contre le mouvement, d’autres ne voulaient pas de blocage, d’autres voulaient jouer,… Dans ce cas, l’unité signifie juste l’immobilité et la non-action. L’unité peut se faire par la persuasion, en discutant, en argumentant mais pas à tout prix, en affaiblissant le mouvement. Elle se construit aussi sur une base objective, sur les intérêts que l’on défend. Je n’ai pas les mêmes intérêts qu’un patron d’entreprise ou qu’un politicien et je n’ai aucune unité à construire avec eux !
Blocage de la production, milieu culturel et catégories sociales
La question centrale dont nous avons déjà un peu parlé est celle du blocage de la production c’est-à dire, dans un festival, des spectacles. Étant donné que la grève est un rapport de force, elle s’appuie sur la possibilité pour les travailleurs de ne pas travailler et donc de ne pas produire. Si la production sort quand même, c’est un échec, les grévistes ont fait grève pour rien.
Dans tous les secteurs de l’économie cela est valable. L’État et le MEDEF (en fait, tous les capitalistes) n’ont rien à faire d’une grève où les spectacles jouent, même sans les techniciens. Mais au fait, ça ferait même peut être faire des économies aux gestionnaires du théâtre!? La question se pose comme dans n’importe quelle usine, il ne faut pas que la production sorte, il faut empêcher les jaunes de travailler (souvent l’encadrement ou les syndicats patronaux) et bloquer le lieu de production. La question du droit au travail n’est qu’un prétexte idéologique utilisé par certains pour limiter la grève. C’est un argument fréquemment brandi par les patrons, les médias ou les politiques pour affaiblir une lutte et culpabiliser les travailleurs en lutte. L’acceptation ou le rejet de cette idée par les personnes en lutte et leur entourage révèle l’état du rapport de force. Le directeur modula d’ailleurs ses positions sur le fait de laisser jouer ou pas les compagnies en fonction des positions exprimées dans les AG et des actions menées. L’article du Midi Libre « Cratère Surface joue avec la grève » est caractéristique de l’inutilité d’une grève qui ne s’en prend pas à la production. Et les techniciens en grève et les précaires présents l’ont bien compris lorsqu’ils passèrent une AG presque complète à discuter de cet article et de cette question. Prenons un autre exemple, dans un article du Monde en ligne daté du 17/07/2014, Aurélie Filipetti de passage à Avignon, explique :
« Nous verrons le bilan financier. Mais les pertes seront bien plus limitées que lors du mouvement de 2003. Ma priorité était que les spectacles jouent et que le public puisse venirparce que dans un contexte de baisse des financespubliques il n’était pas possible de se retrouver avec des dettes à éponger ».
En effet, le blocage de la production a des conséquences économiques, c’est le principal levier des grévistes, des travailleurs. C’est le seul langage que peut comprendre le gouvernement et le patronat. D’ailleurs, tout le monde (les grévistes, les médias, le gouvernement…) scrutait le festival d’Avignon et s’il allait être bloqué ou pas, le considérant comme déterminant dans la poursuite de la lutte et pour le poids que cela aurait eu !
La présence de la direction comme cette idée qu’il fallait laisser jouer provient entre autre d’une illusion. Le milieu du spectacle semble une « grande famille » : tous (artistes, techniciens, direction de théâtre) sont là pour la culture et l’Art. En réalité, les travailleurs de la culture sont de plus en plus exploités dans des conditions de plus en plus précaires.
Cette idée d’une grande famille au travail est propagée dans tous les secteurs d’emplois. Dans la grande distribution notamment, la propagande de la direction tourne autour de ce paternalisme et de la « culture d’entreprise ». Il faudrait vendre le plus possible et sacrifier ses week-end pour le bien de l’entreprise.
Dans le spectacle, il y a effectivement une notion de milieu culturel. Les gens se connaissent, passent d’un festival à un autre, se tutoient avec l’encadrement, se côtoient en dehors du boulot… malgré la précarité des emplois. C’est à la fois une force et un problème. La force réside dans la capacité à se mobiliser qui ne se retrouve pas chez des chômeurs éparpillés et dans des conditions diverses, ou parmi des travailleurs changeant régulièrement d’emploi… La communication va plus vite, d’autant plus que les travailleurs de la culture sont mobiles. Cependant, c’est aussi un problème de se croire sur un pied d’égalité voire « d’amitié », sur le « même bateau » avec son patron et de penser que le spectacle est le plus important, que c’est une expression quasi-sacrée ! Les conditions de travail, de salaire, de contrats sont extrêmement diverses. Le technicien n’est pas dans la même situation que l’artiste, que le régisseur, que la direction, que l’employé de prestataires de services…
Le technicien est au service de l’artiste sur scène et cet état de fait amène à une certaine infériorisation qui a eu son expression dans la grève. Les techniciens grévistes hésitaient à prendre la parole dans les AG et encore plus devant du monde. En tant que grévistes, ils avaient plus à exprimer que les artistes non-grévistes. Lors des AG et des expressions publiques, leur parole a souvent été confisquée par l’ego et les intérêts de certains minables artistes beaux-parleurs qui ont monopolisé les débats ! Finalement, de nombreuses catégories apparaissent dans ce milieu et il est illusoire de croire en la « grande famille » de la Culture. Les rapports de classes sont ici présents comme partout ailleurs.
Il n’y a pas à se faire d’illusion sur quelque milieu que ce soit, même s’il peut être utile de se servir des avantages de certaines connexions. Les grévistes, dans tous les cas, doivent pouvoir prendre la parole, doivent communiquer sur le mouvement, un mouvement qui doit rester le leur!
Actions et élargissement de la lutte
Ce mouvement comportait dès le début une volonté d’élargissement, en direction des précaires mais aussi de tous ceux que cette réforme concerne.
Quelle que soit la lutte, elle ne peut rester confinée dans un lieu. La diffusion de l’information sur la grève permet de gagner de nouvelles personnes à cette lutte. Elle permet de sortir d’un cadre qui est celui de l’abrutissement au travail. Cette question est d’autant plus importante lorsque l’on lutte contre une réforme qui touche plusieurs secteurs.
Ici, la lutte contre l’accord de l’UNEDIC, l’un des actes des politiques d’austérité, concerne les intermittents, les intérimaires, les seniors, les chômeurs et l’ensemble des travailleurs précaires et tous les secteurs sont touchés. La réforme de l’UNEDIC fait partie des mesures d’austérité, telles les 50 milliards d’économies prévues par le gouvernement. Ce sont les fonctionnaires (profs, milieu hospitalier, …), les retraités, les précaires quel que soient leurs statuts, les travailleurs, qui en subissent les conséquences avec une pression accrue sur les revenus, de moindres possibilités de combats (même défensifs : voire les mois de carences en cas d’indemnités supra légales…). Dans cette optique, une lutte limitée aux intermittents n’a pas de sens et les grévistes du Cratère l’ont bien compris.
Cependant il a été difficile tout au long du mouvement de sortir du théâtre. Nous avons déjà parlé des contradictions entre les personnels du festival qui ont bloqué les dynamiques. Pourtant, il aurait été intéressant d’interpeller et d’entrer en contact avec d’autres personnes concernées. Nous avons, à plusieurs reprises, proposé d’aller distribuer des tracts devant la CAF ou Pôle Emploi voire de les occuper. Certains nous ont entendu mais ces actions n’ont pas pu être mises en place. Pourtant, il y aurait eu de quoi faire. Nous aurions pu aller dans les CAF, les Pôle Emplois, à la sécu, dans les hôpitaux, voir les saisonniers dans les bars et les restos, dans les boîtes d’intérim, dans les usines, dans les quartiers…Et il ne s’agissait pas d’entrer en contact avec un « public » ou d’expliquer au « public » mais bien de tisser des liens entre personnes subissant la même attaque de l’État. Il y a bien eu quelques distributions de tracts devant des entreprises du coin et un supermarché mais c’est tout.
Les assemblées populaires proposées depuis le début auraient pu aussi servir à cela. Malgré la tentative de récupération de la direction, elles ont été tentées. La direction aurait bien aimé transformer ces assemblées populaires en forum citoyen. Ce qui revenait à faire d’une grève, d’une lutte, une nouvelle forme de spectacle et à maintenir son festival. Bref, cela servait à empêcher que la lutte ait lieu et à maintenir la situation sous contrôle de la direction.
La présence devant le Cratère d’une table expliquant la grève a pris du temps mais c’était une étape. Ainsi la lutte était visible et des rencontres possibles. Dans le même temps était proposée une assemblée populaire à 18h. Nous n’avons tout d’abord pas été clairs car c’était annoncé publiquement quasi dès le début mais les assemblées n’ont (plus ou moins) eu lieu que le vendredi et le samedi. Un certain videur en prit la direction festive ou plus plutôt crispante, irritante voire franchement loin ou contre la lutte. Sa présence aurait pu être évitée si plus de personnes en lutte avaient été présentes. Son show peu critique (c’est le moins que l’on puisse dire!), a été l’expression de cette position (opposition) entre spectateur et acteur. L’organisation de l’espace -une scène, des sièges devant- rendait la situation proche du spectacle et non de l’assemblée de lutte. Pourtant, après son show dirigé (consciemment ou non) par la direction, quelques personnes de l’assemblée et des gens en lutte ont réussi à reprendre la parole. Parmi les personnes qui sont restées, beaucoup semblaient soutenir le mouvement et étaient prêtes à participer. Mais, là aussi, nous n’avons rien eu à leur proposer… parce que nous n’en avions pas parlé, parce que nous avions juste balancé les mots « assemblée populaire » sans en chercher ni les formes ni les perspectives, parce que la direction en tenait encore les rênes et qu’elle ne désirait pas voir son théâtre occupé par une foule de personnes voulant prendre part à la lutte… Le samedi, encore pire, les spectacles ont joué tranquillement et, pour l’organisation du festival, la soirée la plus importante a été sauvée ! Cette idée d’assemblée n’était pas la panacée, elle n’aurait touché que quelques personnes mais elle permettait de sortir du théâtre, de visibiliser la lutte et aurait pu permettre de partager des perspectives de lutte plus largement.
Durant cette lutte, existait toujours un débat entre ceux qui parlaient plus de la question de la « Culture » et d’autres qui parlaient de la réforme de l’UNEDIC et des politiques d’austérité. Si les grévistes désiraient élargir leur lutte comme les travailleurs du Printemps des Comédiens auparavant, il fallait sortir des revendications culturelles pour aller chercher les autres secteurs contre l’accord de l’UNEDIC. Les cheminots auraient pu être sensibles à ces questions, les infirmières ou sage femmes de l’hôpital aussi tout comme les fonctionnaires, les chômeurs… Les ouvriers de l’usine où une distribution de tract a eu lieu étaient presque tous au courant de l’accord et tous s’arrêtaient pour en discuter.
Cette lutte ne peut être victorieuse qu’en sortant du milieu du spectacle, qu’en s’élargissant à la question de l’austérité, des politiques du gouvernement et du patronat et donc en s’adressant à tous, en trouvant des ponts entre les secteurs, en multipliant les actions dans différents lieux…
Ces réflexions ne se veulent pas donneuses de leçons, nous nous incluons largement dans ces constats. Un collectif de chômeurs et de travailleurs précaires a, dans la période actuelle, beaucoup de difficultés à se mobiliser.
Le rôle et les possibilités d’un collectif de précaires
Nous sommes quelques-uns du collectif Exploités énervés à avoir participé quotidiennement à la lutte qui se déroulait à Cratère surface, tandis que d’autres suivaient plus ponctuellement, en fonction de leurs disponibilités. Il semble ici nécessaire de présenter un peu ce collectif : il regroupe des personnes aux statuts multiples (travailleurs, précaires, chômeurs, bénéficiaires des minimas sociaux…) sur une base de solidarité de classe face au capital et à l’État. Une grande partie de ses activités est la défense de situations particulières face à aux administrations (CAF, PE, CG…), mais aussi quelques fois sur un conflit salarial. Bien conscients que les problèmes qui touchent chacun sont les fruits d’un système économique et des politiques gestionnaires qui l’accompagnent, nous participons également à des campagnes, des mouvements sociaux, nous nous solidarisons avec des grèves ou luttes spécifiques, toujours sur une base de solidarité de classe.
Nous ne pouvions alors que nous joindre à la grève des travailleurs de Cratère-surface, surtout vu le contexte actuel. En effet, il est pour nous indispensable que se développe des résistances face aux politiques d’austérité (politiques de baisse du coût du travail – c’est à dire les salaires, les allocations et aides diverses). D’autant que la lutte contre les accords de l’UNEDIC concerne tous les allocataires, actuels ou futurs, de Pôle Emploi. Pour finir, nous avions pu lire ou entendre, de la part de nombreux intermittents en lutte qu’ils désiraient être rejoint par des chômeurs et précaires afin de mener un combat commun. Sur Alès, les techniciens en grève souhaitaient rencontrer le collectif dans cette perspective.
Nous avons donc rejoint la lutte des travailleurs de Cratère-surface. Nous y avons participé pleinement, intervenant dans les discussions en AG, participant à la rédaction de tracts, aux diff de tracts ou à la manif et aux actions du soir lors des spectacles. Notre place était parmi nos camarades de lutte sans que la légitimité de notre présence ou de notre parole soit remise en cause. Si certains (surtout la direction) ne voyaient pas ces « dépassements » de la question de l’intermittence d’un très bon œil, ils se sont bien gardés de le dire en dehors de petits comités ou de face-à-face réduits.
Si cette volonté d’égalité entre les précaires et les intermittents était consensuelle, dans la pratique, les différences de conditions ont persisté. Positivement : nous n’étions pas employés par le Cratère, sa direction n’avait aucun moyen de pression sur nous, ce qui nous conférait une position spécifique. Nous avons donc pu appuyer le conflit contre la direction qui cherchait à garder le contrôle sur la lutte pour que le festival puisse se tenir malgré la grève. Nous avons pu, en AG et sur des actions, relayer la parole de techniciens qui n’osaient pas la prendre et soutenir ceux qui s’exposaient, en appuyant les positions qui voulaient rendre la grève effective en empêchant les spectacles d’avoir lieu.
Toutefois, nous nous sommes « fondus » dans la lutte des travailleurs de Cratère-surface sans nous montrer capable de lancer des discussions et des actions visant d’autres catégories de chômeurs ou précaires. Pendant cette semaine, pris par une lutte qui s’organisait difficilement, nous n’avons pas réussi à concrétiser des initiatives permettant l’élargissement de la lutte. Nous avons pu relayer via internet les infos sur la lutte en cours, en donnant les rendez-vous des grévistes mais sans en proposer d’autres. Il y a eu quelques diffs sur des usines de l’agglomération alors que nous aurions pu proposer des actions et des assemblées pour tenter de mobiliser les précaires et chômeurs de la ville et de ses alentours. Pour info, le secteur d’Alès recense plus de 16 % de chômage depuis le dernier trimestre 2012. Nous n’avons même pas réussi à nous réunir au sein du collectif. Nous échangions sur place, au petit bonheur, avec les camarades du collectif et les personnes que nous connaissons qui passaient. Une mobilisation de précaires et chômeurs à cette occasion aurait changé les rapports de force. Elle aurait pu appuyer les grévistes, isolés et embourbés dans des conflits internes, pour leur permettre de sortir et de se rendre visibles. Cela aurait aussi pu donner une pérennité à la lutte qui était d’emblée bornée entre les dates de début et de fin du festival : une semaine !
Le constat de cette difficulté à se mobiliser en tant que chômeurs ou précaires n’est pas nouveau. Il est un trait constant lié aux conditions d’existence de ces catégories. Les contrats et statuts sont nombreux (CDD, interim, CAE/CUI, stagiaires, allocation chômage ou RSA…), les employeurs changent et les collègues avec (avec des hiérarchies salariales à l’intérieur des boîtes en fonction des types de contrats) et si l’on passe tous par Pôle Emploi, il est difficile de s’y rencontrer et la dématérialisation n’arrange rien. En ce sens, la précarité ou le chômage ne crée pas de fait une communauté d’intérêt. Les chômeurs sont maintenus dans une disponibilité pour les besoins du patronat mais isolés les uns des autres. Il n’y a ni lieu où se retrouver, ni production à bloquer pour faire pression. Les conditions de vie de cette catégorie de la population (qui, répétons-le, regroupe des réalités diverses) limitent les possibilités de se regrouper et de faire pression pour défendre ses intérêts. A ces difficultés, vient s’ajouter le découragement, la résignation de ceux qui ont déjà à lutter au quotidien pour accéder aux allocations dont ils dépendent pour vivre : usés par ces luttes, il reste peu d’énergie pour mener des batailles collectives, d’autant que ces dernières années, peu de luttes ont débouché sur des « victoires ». L’État ne s’y est pas trompé. Le gouvernement, après plusieurs semaines de mobilisation, a proposé aux intermittents des aménagements de la réforme UNEDIC, uniquement pour les annexes les concernant. Ces derniers continuent à affirmer « ce que nous défendons, nous le défendons pour tous », mais ils ne peuvent tenir s’ils ne sont rejoints par les autres concernés. Sur Alès, comme dans d’autres villes, des collectifs de précaires et chômeurs se sont associés à la lutte contre la réforme de l’UNEDIC. Si des rencontres et des dépassements ont eu lieu, un mouvement des chômeurs et précaires n’en a pas émergé. Il nous faut tisser au quotidien des solidarités et des rapports de force pour la défense de nos intérêts pour espérer que des luttes plus importantes puissent se développer. Il nous faut trouver des bases communes et des lieux pour se rassembler, par delà nos multiples statuts, notre atomisation et notre invisibilisation.
Exploités Énervés
Je suis juste une retraitée. Mais je trouve ces réflexions très intéressantes. Déjà l’idée de tirer un bilan sincère et critique est intéressante