Le cadre théoriquement contractuel des engagements et de l’accompagnement dans le cadre du dispositif RSA semble n’offrir aucune garantie pratique que la parole et le point de vue de l’allocataire seront effectivement pris en compte, comme le montre l’exemple suivant d’une personne au RSA reçue et aidée par un mouvement de chômeurs. La pratique professionnelle du contrat d’engagement semble potentiellement porteuse de lourds dangers et sert dans certains cas à soumettre les allocataires, cela en contradiction avec les principes théoriques des assistants de services sociaux.
Mlle O, 45 ans, allocataire du RSA, est reçue début avril 2010 dans le cadre de la permanence précarité d’un mouvement de chômeurs et précaires dont le collectif de travailleurs sociaux Nous Restons Vigilants est proche. Un membre du collectif NRV participe à la permanence quand Mlle O est reçue. Ce texte est la synthèse des notes qui ont été prises à cette occasion.
Mlle O a appris l’existence de la per manence précarité en lisant un tract de ce mouvement de chômeurs déposé dans un lieu culturel. Elle relevait du régime intermittent jusqu’en 2001, année ou elle bascule au RMI puis au RSA jusqu’à aujourd’hui. Son passage par l’aide sociale est entrecoupé de quelques périodes d’emploi qui lui font quitter le dispositif brièvement en 2005.
Mlle O vient voir la permanence car elle est en recherche d’information concernant ses droits et devoirs dans le cadre du RSA. Elle rencontre un problème lié à une dette locative. Elle a en outre entendu parler de l’insertion par l’activité économique et voudrait savoir comment on obtient un emploi dans ce secteur. Elle est enfin confrontée de façon répétée à des contrôles domiciliaires de la CAF – 3 en moins d’un an – et se demande si cela est légal. Mlle O s’exprime de façon claire et posée et ne révèle aucune difficulté face au groupe de la permanence précarité, elle parle calmement et semble à l’aise, pose des questions, fait des commentaires et donne son avis sans appréhension.
Mlle O est informée sur ses droits, ceux qui l’accueillent examinent des pistes pour faire cesser les contrôles CAF qui, par leur répétition, sont manifestement abusifs et s’apparentent à du harcèlement. Il serait possible d’une part de médiatiser son affaire sur le site du mouvement de chômeur et il lui est avant tout proposé d’utiliser son droit d’accès à son dossier auprès de la CAF, afin de vérifier qu’aucun élément ne justifie une suspicion de la CAF à son encontre, cette demande à la CAF pouvant être faite en étant accompagné par des personnes de la permanence précarité.
La suite de la discussion fait apparaître que Mlle O a été largement désinformée sur ses droits. Son référent RSA (une assistante sociale du service social départemental du Val d’Oise) lui a affirmé de façon mensongère que rien n’était possible concernant sa dette locative de 300 euros, alors que Mlle rentre dans les critères pour une demande de FSL (elle remplit les critères de ressources et celui de la reprise du paiement du loyer depuis plus de 4 mois). La référente RSA lui a cependant proposé de bénéficier des prestations d’une épicerie sociale, ce qui ne correspondait pourtant pas aux besoins de Mlle O. De même, la référente RSA n’a pas pris en compte plusieurs des demandes et problèmes exprimés par Mlle O. Elle a été évasive concernant les possibilités d’intégrer une structure de l’IAE, ainsi que sur les possibilités de formation qualifiante.
Concernant les objectifs d’insertion auxquels Mlle O doit se conformer, on apprend que celle-ci a enchaîné plusieurs stages prescrits au titre du RSA : tout d’abord un stage d’aide à la recherche d’emploi chez Euridice Partner (qui a lui-même sous-traité ce suivi à Manpower) dans son précédent contrat RSA, puis deux stages en cours dans son contrat actuel, l’un de thérapie comportementale et l’autre de mise en situation de recherche d’emploi (par simulations). Le fait que Mlle ne sache pas pourquoi elle enchaîne les stages nous étonne et nous conduit à lire plus en détail son contrat d’engagement RSA. Nous constatons que celui-ci a été rédigé d’autorité par sa référente RSA, sans aucune explication ni discussion nous dit Mlle O. Les parties du contrat théoriquement remplis par l’allocataire sont écrites par la référente RSA elle-même. Celle-ci décrit les problèmes, les besoins et les engagements de Mlle O telle qu’elle les perçoit. A la rubrique « qu’avez-vous réalisé pour votre insertion depuis le précédent contrat ? » La référente a écrit à la place de Mlle O :
Mlle n’a pas adhéré au suivi proposé par Eurydice Partner. Elle n’a pas trouvé sa place dans l’accompagnement qui lui était proposé.
A la rubrique « Pour atteindre mes objectifs, je souhaite bénéficier de : » La référente se permet d’écrire :
Les différentes orientations proposées par le passé ont permis à Mlle de prendre conscience de ses difficultés de communication. Elle exprime une profonde angoisse lorsqu’elle se trouve face un groupe.
A la rubrique « Observation du bénéficiaire », la référente se permet d’écrire :
Mlle a pris conscience des difficultés relationnelles dans le groupe qu’elle estime comme un frein important dans sa recherche d’emploi. Je l’encourage vivement à s’engager dans une thérapie comportementale en lien avec un parcours de mise en situation afin de progresser et de trouver confiance en elle.
A la rubrique « Je m’engage à : » la référente à écrit pour le compte de Mlle O.
Intégrer la thérapie comportementaliste à Entract’ et le parcours de mise en situation de IFAC 95.
Nous apprenons que Mlle O a signé ce contrat (validé depuis par l’équipe pluridisciplinaire) sans le lire et en faisant confiance à sa référente. Elle est étonnée d’apprendre que la loi sur le RSA prévoit que le contenu du contrat est librement débattu et indique les engagements réciproques de l’allocataire et des services RSA du département. A aucun moment sa référente ne lui a indiqué que ce contrat, qui lui a été présenté comme obligatoire, pouvait être négocié dans son contenu. Si elle l’avait su, Melle O nous dit qu’elle aurait d’une part lu son contrat et d’autre part fait indiquer ses difficultés de logement et de budget.
De plus Mlle O s’inscrit en faux par rapport à diverses affirmations de sa référente concernant ses prétendues difficultés relationnelles. Elle n’a jamais évoqué de telles difficultés ni dit qu’elles constituaient un frein à sa recherche d’emploi. Elle a évoqué simplement une appréhension somme toute banale et bien compréhensible face aux situations d’entretien d’embauche dans lesquelles il faut savoir se vendre et se présenter de manière totalement fictive et artificielle. Cette appréhension n’a d’ailleurs été la cause d’aucun échec dans ses recherches d’emploi actuelles dans la mesure où, malgré des candidatures répétées et l’aide supposée d’Eurydice Partner et de Manpower, Mlle O n’a jamais obtenu le moindre entretien d’embauche.
Cet aveu concernant son ressenti face aux entretiens d’embauche lui vaut pourtant maintenant une orientation en stage de thérapie cognitive et comportementale qui lui est imposé, stage auquel elle ne peut se soustraire puisqu’il fait partie des engagements auxquels elle a souscrit.
Nous signalons à Mlle O qu’elle peut exiger au titre de son droit d’accès à son dossier la fiche bilan de son stage d’aide à la recherche d’emploi chez Euridice Partner et Manpower, de façon à pouvoir en contester les conclusions sur sa soi-disant difficulté de communication en groupe.
Nous lui disons au passage qu’elle aurait du avoir cette fiche bilan à la fin de son stage, ce qu’elle ignorait. Nous l’invitons d’ailleurs à consulter l’ensemble de son dossier d’accompagnement RSA, afin de savoir ce qu’on écrit sur elle sans l’en informer.
Nous signalons en outre à Mlle O que pour pouvoir négocier au mieux le contenu de ses contrats, elle a tout intérêt a connaître les possibilités de stages de formation au titre du RSA, aussi nous l’invitons a réclamer à sa référente le Plan Département d’Insertion pour pouvoir consulter les fiches descriptives des actions de formation RSA de son département.
Là encore Mlle n’avait pas été informée de l’existence d’une telle offre de formation et de son droit à consulter les différents types d’action d’insertion dont elle peut demander le bénéfice, cela lui aurait pourtant donné des informations sur les possibilités d’intégrer une structure de l’Insertion par l’Activité Economique dans le champ de la culture, comme elle le souhaite.
En nous repenchant une dernière fois sur le contrat nous constatons que la mention suivante à été cochée : « J’autorise le conseil général et les partenaires (dont la CAF et Pôle Emploi) à échanger toute information susceptible de m’aider dans mon parcours. »
Nous interrogeons Mlle O qui une fois encore n’a pas été consultée sur ce point. Sa référente a coché d’autorité cette case, sans lui laisser de choix ni lui expliquer les conséquences potentiellement néfastes pour elle de cette levée du secret professionnel concernant sa situation.
Mlle O nous dit que si elle avait été consultée et si elle avait su que cette mention cochée autorise sa référente à divulguer tout ce qu’elle peut raconter en entretien, alors elle n’aurait en aucun cas consenti à cela.
Différentes conclusions peuvent être tirées de cette situation rencontrée en permanence :
– Dans cet exemple, comme dans d’autres vus en »permanence précarité », on constate que des travailleurs sociaux ou des chargés d’insertion ne laissent aucun droit et aucune liberté aux allocataires concernant leur vie et leurs projets.
– On remarque que l’asymétrie d’information est, comme nous l’avons remarqué dans nombre de cas, le ressort principal permettant aux travailleurs sociaux et plus largement aux institutions sociales d’imposer leurs vues aux allocataires.
– Les devoirs imposés dans un cadre théoriquement contractuel sont vécus comme une violence. Mais au delà, c’est le fait que des professionnels s’estiment en droit de faire les questions et les réponses, de définir d’autorité les problèmes et les besoins, qui est vécu comme une humiliation par l’allocataire. De plus, l’imposition d’un stage dont on ne comprend pas le sens, est vécu non comme une aide mais comme une punition.
– Il n’y a pas lieu alors de s’étonner de la « passivité », du « manque d’adhésion » ou des « difficultés de communication » que des professionnels prêtent aux allocataires qui se voient imposer des obligations qu’ils ne comprennent pas. Le fait que Mlle O n’ait aucun problème relationnel et de communication dans le cadre d’une permanence précarité montre à contrario que c’est le cadre oppressant et autoritaire imposé par sa référente RSA qui la conduit à paraître aux yeux de l’institution comme une personne ayant des difficultés relationnelles. Autrement dit, le manque ou l’absence d’adhésion à ce qui est imposé par l’institution est retraduit par l’institution en une pathologie relationnelle de l’allocataire et ce jugement humilie et rabaisse un peu plus un allocataire qu’on veut de facto réduit à l’obéissance.
Epilogue
Mlle O change de point de vue sur sa référente RSA. En réalisant qu’elle n’a pas été informée de ses droits et qu’elle a eu à subir les représentations, jugements et décisions de sa référente sur sa personne, elle réalise que si celle-ci pense sans doute être une aidante, elle se révèle être avant tout une adversaire qu’il faudra affronter à l’avenir. Elle réalise l’importance d’accéder à une information sur ses droits, les possibilités et le fonctionnement du dispositif RSA. Pendant l’échange elle prend de plus en plus de notes et pose de nombreuses questions, sur les articles clés du code de l’action sociale concernant les droits et les devoirs des allocataires du RSA, sur le FSL, sur le fonctionnement de l’Insertion par l’Activité Economique. Surtout, Mlle O en vient à se poser et à nous poser des questions politiques : Qu’est-ce qui conduit sa référente à décider pour elle et à utiliser la rétention d’information sur les droits pour l’écraser et la rabaisser ? Pourquoi n’a-t-elle pas son mot à dire ? Que vise ce système de prise en charge des chômeurs et précaires ? Pourquoi a-t-elle eu l’impression que sa prise en charge par un Opérateur Privé de Placement (Manpower) était « bidon » ? Nous évoquons alors l’intérêt social d’une culpabilisation et d’une responsabilisation des chômeurs, pour les réduire au silence et à l’impuissance politique et pour neutraliser la question sociale et politique que pose le chômage. Culpabiliser les chômeurs en faisant croire qu’on les aide beaucoup, c’est garantir la paix sociale, c’est entraver toute fraternisation entre sans emplois et salariés, c’est s’assurer que ceux qui ont un emploi, même précaire et inintéressant, s’y accrocheront en serrant les dents de peur de déchoir. Mlle O semble décidée à faire valoir ses droits et surtout à demander l’accès à toutes informations institutionnelles la concernant, elle a raison mais nous la prévenons qu’elle risque d’être cataloguée comme « véhémente » et « procédurière » par l’institution, au risque de subir des mesures de rétorsion. Mais nous lui disons aussi qu’avec les occupations, les accompagnements, les permanences ou l’on échange sur ses expériences face aux institutions du social, le collectif protège et rend du pouvoir aux individus.
Tiré du bulletin Travail Social Perds Ton Sang Froid N°1, collectif NRV (collectif de travailleurs sociaux en formation, salariés ou pas…).